PAGE AMÉRIQUE

Les Soeurs Grises s’aventurent vers l’Ouest et au-delà

Tout commence en 1857 lorsque monseigneur Alexandre Taché fait une demande à sœur Julie Deschamps, supérieure des Soeurs Grises. Il explique, « il y a tant de besoins dans l’ouest du Canada !  Auriez-vous des sœurs prêtes à tout laisser pour aller à la nouvelle mission du Lac Sainte-Anne ? » « Oui » répond-elle, « notre vocation est d’apporter la Bonne Nouvelle à tous. Toutefois, la condition serait que vous pourvoyiez à leur vie spirituelle et à leur nourriture quotidienne ». L’évêque répondit : « Les missions sont extrêmement pauvres, je ne peux même pas vous assurer que les Sœurs auront les nécessités de la vie ».  « Dans ce cas », répond sœur Deschamps, « elles jeûneront avec les missionnaires et les gens et nous demanderons à Dieu de les aider ». Cette rencontre historique est la pierre angulaire d’une « mission » qui a répondu aux besoins de milliers de personnes. Il définit également l’engagement total des vaillantes Sœurs Grises.

Pour ce service de Dieu et des pauvres, sœur Deschamps voulait des femmes comme Marguerite d’Youville, énergiques, fortes, compatissantes et généreuses. Elle leur rappelait constamment : « Prenez bien soin des pauvres ». Ainsi, ancrées dans un esprit de « don de soi », ces jeunes femmes  acceptent joyeusement et fidèlement cet engagement qui deviendra « histoire d’amour » en accord avec la mission des Sœurs Grises de Montréal.

Le 19 septembre 1858, trois Soeurs Grises quittent Montréal en route vers l’Alberta.  Sœur Emery (Zoé Leblanc), 31 ans, sera le « médecin » du district;  Sœur Adèle Lamy, 23 ans, sera sacristine, cuisinière et jardinière. Sœur Alphonse (Marie Jacques) 23 ans, sera l’enseignante des enfants et des femmes avides d’apprendre.

Les sœurs arrivent à Saint-Boniface, Manitoba, quarante-deux jours plus tard. Elles y demeurent neuf mois afin de s’acclimater et d’apprendre des autochtones et des Soeurs Grises qui sont là depuis 1844.  Le 3 août 1859, les héroïques missionnaires font leurs adieux aux Sœurs Grises de Saint-Boniface. Elles sont accompagnées de Marie-Louise, une jeune et courageuse interprète autochtone. La grande aventure se poursuit durant 53 jours. À travers rivières, bourbier, criques et marais, elles traversent les prairies marchant lourdement à côté des charrettes à bœufs, empestées par les mouches et les maringouins, même quand elles se retirent dans une tente pour un sommeil bien nécessaire, après un frugal repas et la prière du soir.  Elles souffrent grandement des éléments et d’un inconfortable manque d’intimité puisque des familles s’ajoutent à la caravane en cours de route.

Enfin, le 24 septembre 1859, à 15 h, la caravane arrive au Lac Sainte-Anne, Alberta. Les cloches de l’église sonnent à toute volée et le père Lacombe souhaite la bienvenue aux sœurs avec une grande joie tandis que les Métis et les autochtones les accueillent en dansant. Après une prière d’action de grâce dans l’église décorée comme aux jours de fête, le père Lacombe les conduit à leur maison temporaire.

En une semaine, les Soeurs visitent chaque famille avec Marie-Louise. Elles commencent l’étude de la langue Crie, enseignent aux adultes et aux enfants, visitent et  soignent les malades.  Venues pour partager le labeur des missionnaires et du peuple, elles partagent aussi leur grande pauvreté et la sévérité des temps.  Douloureusement conscient de cette lamentable situation, père Lacombe fait plusieurs visites sur d’autres sites cherchant un endroit où il y aurait une plus grande possibilité de survivre et d’établir des œuvres. Enfin, il découvre cette « terre promise » qu’il nomme « la Mission Saint-Albert ». Aussitôt, les préparatifs sont faits pour un déménagement éventuel.

Le 23 mars 1863, les trois Sœurs Grises et Marie-Louise, ayant préparé leur baluchon, font leurs adieux aux amis du Lac Sainte-Anne. Elles emmènent avec elles sept orphelins et voyagent toute la journée en charrette pour arriver à Saint-Albert. Pendant plus d’un an, elles résident dans une petite chaumière tandis que leur maison est toujours en construction.  Même dans cet espace limité, elles accueillent un vieillard de cent ans.

C’est le 18 septembre 1864, que père Lacombe bénit le nouveau couvent. Sans délai, les sœurs ouvrent une école, un orphelinat et un hôpital où des personnes de toutes nationalités et religions sont accueillies avec respect.  Très tôt, cette terre sainte devient une ruche bourdonnante d’activités de toutes sortes. La mission d’éducation et de guérison des Sœurs Grises se poursuit avec dynamisme, amour et expertise. Profondément conscientes de leur appel à aller de l’avant, à pousser les frontières avec une espérance joyeuse, ces femmes missionnaires de la Bonne Nouvelle demeurent confiantes dans l’infinie tendresse du Père, la présence fidèle de Jésus et la puissance indéfectible de l’Esprit Saint.

Appréciant comme un trésor leur mission de charité inventive, les Sœurs considèrent la préparation de futures Sœurs Grises comme une responsabilité privilégiée. Des jeunes femmes généreuses et issues des familles locales se présentent afin de répondre aux dons de l’Esprit en elles et en vue de la mission.

Au cours des années, plus de cinquante œuvres de charité fleurissent dans les Territoires du Nord-Ouest, l’Alberta, la Saskatchewan (Canada) et au Zaïre (Afrique). Selon leur charisme et leur esprit aventureux, elles tracent un chemin vers l’ère de la technologie et transmettent avec passion la flamme d’une mission d’amour et de foi chez  tous les peuples.

L’aventure missionnaire est une histoire ouverte avec un passé, un présent et un avenir. En effet, l’héritage reçu de sainte Marguerite d’Youville n’est pas simplement historique, il est toujours vibrant. Aujourd’hui, comme par le passé, les Sœurs Grises de l’Alberta sont bénies d’un groupe unique de femmes consacrées et dédiées au service des personnes en besoin. Or, faisant mémoire de leur mission d’hier, d’aujourd’hui et de demain, c’est toujours la même mission vécue mais de différentes façons parmi des peuples différents et des temps différents. En effet, leur fierté n’est pas d’avoir vécu un passé en faisant le bien, mais plutôt d’être demeurées pertinentes pour les temps. Femmes de présence, femmes de prière, femmes de partenariat avec les laïcs et avocates des pauvres, elles cheminent toujours parmi et en solidarité avec les personnes marginalisées de notre société.